Laurence Brunet est présidente de l’association Alexis Danan de Bretagne (nos homologues), qui œuvre pour la protection de l’enfance. Elle et son équipe ont travaillé plus de 3 ans avec le Québec pour mettre en place un programme d’accompagnement pour les enfants victimes ou témoins de violences en vue de témoigner.
Comment est né le projet Calliope ?
Laurence Brunet – J’ai eu une histoire personnelle qui m’a fait beaucoup m’interroger sur la prise en charge de la parole de l’enfant. Le vécu de mon histoire personnelle m’a fait me rendre compte que l’enfant n’est pas bien considéré par les institutions judiciaires, on le met au même niveau que l’adulte, on ne prend plus en compte sa globalité.
Vous avez travaillé avec le Québec pour construire ce projet, expliquez-nous.
Nous nous sommes beaucoup inspirés de ce qui est fait au Québec, et j’ai la chance d’avoir pu rencontrer Mireille Cyr, avec qui nous conversons beaucoup (Mireille Cyr est doctorante en psychologie à Montréal et auteure notamment de Recueillir la parole de l’enfant témoin ou victime. De la théorie à la pratique et L’agression sexuelle envers les enfants, NDLR).
Lorsqu’elle est venue faire un colloque pour nous à Rennes, elle m’a donné des pistes très pertinentes sur le guide d’accompagnement d’aide aux victimes mineurs, proposé au CAVAC (Centre d’Aide aux Victimes d’Actes Criminels). L’association est donc partie au Québec en 2017, et grâce aux conseils de Mireille Cyr nous avons rencontré beaucoup de gens pour comprendre ce guide d’accompagnement d’aide aux victimes mineurs, qui n’existe pas tel quel en France, mais qu’on allait pouvoir transposer.
C’est quelque chose qui a été très élaboré, un travail de 3 ans, en partenariat avec le ministère de la justice au Québec. Ça n’a pas été facile de proposer tout cela aux institutions françaises, mais nous n’avons pas lâché.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ce guide ?
Il faut garder les procédures judiciaires françaises intactes. Ce qui est important avec le guide Calliope, c’est de comprendre qu’on ne parle pas de la procédure des enfants, mais on vient leur donner des outils et des compétences, pour pouvoir témoigner, voire être auditionné. On va aller chercher chez l’enfant des capacités qu’il a mais qui n’ont pas été « activées ».
C’est un entretien d’une heure et demi, avec un protocole très cadré. Ce sont des jeux, des questions- réponses, qui vont permettre que l’enfant dise : « je ne sais pas » ; « je n’ai pas compris le mot que tu m’as dit » ou « tu t’es trompé, ce n’est pas ça que j’ai dit ». L’intérêt c’est que l’enfant prenne confiance dans l’adulte. On le prépare à être auditionné, et on lui fait comprendre que la justice peut être bienveillante, c’est-à-dire que grâce à lui, la vérité peut jaillir, mais grâce à des jeux. L’enfant, à partir du moment où il va « revisiter son logiciel de pensée » va arriver à se dépasser.
Quels sont les bienfaits pour l’enfant ?
Grâce à cela, le témoignage de l’enfant sera beaucoup plus structuré, parce qu’on lui aura donné des outils. On ne dit jamais à l’enfant ce qu’il doit dire. Il faut savoir qu’il y a eu tout un programme de recherche sur ce guide, ça n’a pas été fait comme ça. Ça existe depuis 2011 au Québec. Ça ne va pas révolutionner les auditions bien sûr, mais ça apporte à l’enfant une confiance en lui, des outils pour qu’il puisse témoigner, et avoir le témoignage le moins traumatisant possible. Aujourd’hui, on a l’impression qu’on « jette » un peu les enfants dans l’arène de la justice.
Votre but est maintenant est de former des professionnels à ce protocole ?
Oui. Nous, nous avons expérimenté le protocole car c’était une demande du CAVAC. L’expérimentation a enrichi la formation. Mais nous sommes une toute petite association. Notre but, c’est donc de former des personnes à ce protocole. Nous sommes référencés comme vrai organisme de formation. C’est quelque chose à laquelle je crois beaucoup, il y a des professionnels qui commencent à s’inscrire. On va former des gendarmes dès le mois de février. C’est une formation de 3 jours, avec un suivi sur lequel on s’engage. Cette formation est destinée aux gendarmes, policiers, travailleurs sociaux, psychologues et médecins des UMJ (service d’Unité Médico Judiciaire), et la cerise sur le gâteau serait de former des magistrats.
Aujourd’hui, vous considérez que l’enfant n’est pas suffisamment préparé à tout cela ?
Il y a un psychologue auprès de l’enfant au moment où il est auditionné, mais il n’y a pas de psychologue qui l’a préparé. L’avocat accompagne l’enfant certes, mais dans ses droits. Où respecte-t-on l’enfant dans sa globalité ? Si vous avez un accident de voiture et que vous allez au tribunal, vous allez être préparé, c’est une évidence. Mais pour les enfants, il n’y a personne. Il y a l’avocat bien sûr. Mais dans la réalité est bien différente. Comment un avocat, commis d’office, qui va savoir qu’il est convoqué 2 jours avant, va pouvoir organiser cela dans la sérénité ? L’enfant voit son avocat, on va dire, 2 heures avant l’audience… Pour lui dire quoi ? Est-ce que c’est au tribunal qu’on prépare un enfant ? Non. Il faut que ça soit dans un cadre bienveillant.